Archive -mai 2019

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Images d’une organisation dysfonctionnelle

On pourrait déjà se demander ce que ça veut dire, fonctionnel. Pour faire simple, un système est fonctionnel lorsqu’il opère entre des limites saines. En dehors de ces limites, rentre en zone dangereuse, et plus il va s’en éloigner, plus il sera dysfonctionnel. Ça, c’était la théorie. Voici quelques exemples pratiques. 

Prenez le taux de sucre dans le sang. En dessous de .8 grammes par litre, c’est l’hypoglycémie. Au dessus de 1.26, c’est l’hyperglycémie. Le corps humain n’est pas fait pour fonctionner à trois grammes, que cela soit du sucre ou de l’alcool.  Mais entre .8 et 1.26, tout va bien. 

Un moteur de voiture suit les mêmes règles. Rouler en côte à 1000 tours/minute n’est pas une bonne idée car le moteur va s’encrasser et caler. Pousser les vitesses en restant collé au delà de 6000 tours et le moteur va finir par exploser… à un moment donné.

Le temps

La notion de temps est importante quand on parle de choses dysfonctionnelles. Prenez… vous ! Un peu de surcharge de travail pendant un moment ne pose pas vraiment de problème. Mais être en surcharge pendant des mois… bonjour les dégâts. Maintenant pensez à un sprint. Pendant trois jours, c’est la folie au travail. Si vous pouvez vous reposer après, comme dit Nietsche, ce qui ne tue pas renforce. 

Mais si la folie dure des semaines, nous avons les deux pieds dans le dysfonctionnel. Si un système (une voiture, moi, vous, votre boîte…) tourne trop longtemps de manière dysfonctionnelle, il va se mettre à l’envers pour se remettre d’applomb. La voiture va s’arrêter en attendant qu’un mécanicien vienne la sauver et vous allez vous mettre en burnout en attendant que ça aille mieux. 

Et votre boîte ?

Il y a beaucoup de monde sur cette planète et donc beaucoup d’organisations. Il peut donc s’agir d’une entreprise, d’un pays, d’une organisation politique ou économique locale ou internationale, dans le domaine de la santé, de l’éducation, de la pêche ou de ce que vous voulez. 

Maintenant prenez une organisation où les choses ne se passent pas comme il faut. Peu importe la raison et ce qu’on entend par “comme il faut”, car très vite, vous aurez plein de gens qui vont vouloir définir “comme il faut”. Imaginez la scène au ralenti : un conducteur de bus qui a du mal à éviter un trou sur la route et plein de gens qui se jettent sur le volant pour que ça se passe “comme il faut”.

La boucle magique

C’est juste une boucle de rétroaction positive. Plus notre conducteur (toujours au ralenti) a du mal à piloter, plus il y a de gens qui se jettent sur le volant, et plus ça se passe bizarrement… et plus les gens se jettent sur le volant et… etc. 

– Au début, tout va bien et le système fonctionne avec ses ressources qui opèrent entre des limites saines. 

– Lorsque le système se laisse fonctionner en dehors de ces limites et qu’il ne sait pas prendre en compte ces informations, il fonctionnera de plus en plus en dehors de ces limites. Il sera donc de moins en moins fonctionnel.

 Graphiquement, ça donne l’animation jointe

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Les activités et ressources qui opèrent depuis la zone dysfonctionnelle auront pour objectif publié de revenir dans le fonctionnel (généralement, quand on en est là, la définition du fonctionnel est assez diverse) et elles se retrouveront naturellement en opposition les unes aux autres. 

Imaginez maintenant beaucoup de gens sur un bateau. Si tout le monde reste au milieu, ça se passe bien. Mettez en trente pour cent sur un coté, il faudra vite en mettre trente pour cent de l’autre, sinon le bateau se retourne. Mais du coup, il n’en reste plus assez au milieu. Et comme ça tangue dans tous les sens, ceux qui sont au milieu ont aussi tendance à partir sur les bords. C’est ça, la boucle magique. C’est malheureusement aussi la tragédie de la polarisation. 

Quand la boucle a fini son travail, le bateau est vide, et tout le monde est accroché sur les bords. On fait quoi ?

Concrètement

Vous pouvez penser à tout un tas de pays rongés par les extrémismes et les populismes. Vous pouvez aussi penser à la bureaucratie et autres expressions de management dysfonctionnel. Sur ce dernier point, je ne peux résister au plaisir de vous donner un exemple. 

On me donne une mission, mais je dois attendre l’ordre de mission, que je reçois deux jours avant ladite mission. Je ne peux pas attendre l’ordre pour préparer la mission, car je n’aurais pas le temps de bien préparer et je ne veux faire bien mon travail. Je prépare donc la mission, ce qui entraîne du temps et des frais, mais sans l’ordre. Or le temps et les frais ne sont remboursables que s’ils sont postérieurs à l’ordre de mission. La mission n’aurait pas eu lieu si je n’avais pas fait la préparation et payé ces frais. Mais bon, vous dira la bureaucratie, c’est pour éviter les excès. 

Vous venez de voir comment les tâches sont effectuées en dehors des limites saines. Tout le monde avait une bonne intention, au départ. Mais la boucle est lancée, et vous connaissez la suite. Les décisions sont prises pour garder le bateau en place, mais ça fait bouger tout le monde sur les côtés. 

Revenons un peu à la théorie des systèmes car, honnêtement, ceux et celles qui devraient s’y intéresser le plus n’en ont en général rien à faire. Normal, ils sont trop occupés. Allez, cette dernière boucle de rétroaction positive, je vous en fait cadeau. 

La grenouille

Prenez une grenouille (un amphibien), mettez la dans une casserole d’eau froide et faites chauffer l’eau. Comme la grenouille n’a pas conscience du changement de température, à un moment elle sera cuite. 

Nous avons tendance à ne voir le burnout venir que quand c’est trop tard, car nous sommes des amphibiens en matière de vision systémique. Cet “archétype systémique” (cette dérive vers là où il ne faut pas aller, si vous préférez) est largement causé par la conscience que nous avons de la casserole. 

La casserole

Imaginez que vous êtes un tout petit être qui vit dans une casserole. Tant que la casserole est vivable, pas de problème. Mais disons que l’environnement autour de la casserole change : la maison s’effondre et dehors il fait moins trente, ou plus quarante. La casserole qui était fonctionnelle pour vous (c’est là que vous viviez depuis toujours), ne l’est plus car son environnement (on pourrait dire la casserole de la casserole) a changé.

Là, on parle de changement de type 2, c’est à dire que c’est costaud. Dans la première casserole, on pouvait changer tout en y restant (type 1). Mais avec ce qui s’est passé dans la deuxième, ce n’est plus possible. Il faut é-vo-lu-er ! 

Cela signifie regarder la réalité en face et probablement revisiter la couleur des murs. Mais avant d’y arriver, on a deux possibilités: soit on n’est pas conscient de l’environnement de la casserole et on va y passer (à la casserole), soit on en est conscient et on é-vo-lue.

Dans le premier cas, on aura essayé de faire ce qu’on a toujours fait : bricoler la casserole. Un exemple tout bête: croire que la démocratie dans cette partie du 21ème siècle, ça marche comme au 18ème. Ce genre de totem fait qu’on se retrouve avec des situations surprenantes. Vous trouverez les exemples vous-mêmes.

Dans le deuxième cas, on accepte l’évolution : on passe sur un autre plan, changer de paradigme. Et pour déménager dans les faits, il faut pouvoir déménager dans sa tête. Mais ceci est une autre histoire !

PS. Au fait, les totems étaient en bois rapidement putrescible, comme ça les tribus du nord-est de l’Amérique pouvaient en changer régulièrement. Ça évitait l’ancrage de croyances dysfonctionnelles. On appelle ça une boucle de rétroaction stabilisante : le système change et évolue mais reste fonctionnel, pas l’inverse.